16/10/2013
Auteur : Philip Lymbery, Directeur de CIWF International
Les enquêteurs de CIWF témoignent sur les tragédies de l’élevage industriel
Active depuis 1996, notre équipe d’enquêtes cherche à montrer les réalités de l’élevage industriel et apporter les preuves pour nous aider à expliquer aux décideurs pourquoi les animaux d'élevage méritent un meilleur traitement. Nos enquêteurs vont souvent accomplir des tâches pénibles, dans des situations difficiles à vivre et encore plus difficile à décrire. Pourtant, il est essentiel que ce travail soit réalisé pour nous faire tous toucher du doigt les réalités de l'élevage industriel et nous aider à mettre en avant les solutions nécessaires pour permettre de mettre fin au confinement des animaux de ferme. Jai récemment échangé avec un membre de l'équipe d’enquêtes.
Q : Vous devez avoir assisté à des situations bouleversantes de souffrance animale ?
A: Oui, beaucoup. Dans une enquête en Italie, je me souviens de ces centaines de porcs enfermés dans un vaste hangar - destinés à être des « jambons prestigieux » sur les rayonnages des supermarchés. Je pouvais à peine entendre mon collègue tellement le bruit était fort. C’était bientôt l’heure de leur repas. Je n'avais jamais vu des porcs ainsi privés de toute stimulation, à tel point que la seule chose que ces animaux curieux pouvaient faire pour s’occuper, c'était jouer avec leurs propres excréments. Avec leurs museaux, ils les poussaient à travers les barres métalliques de leur enclos, puis les remettaient dans l’enclos – ça m’a vraiment fortement marqué. Mais qu’auraient-ils pu faire ? Il n'y avait rien d'autre que du béton et du caillebotis dans ce hangar. Ils auraient aussi pu se venger de leurs frustrations sur les autres cochons, et dans certains enclos c'était clairement le cas, comme en témoignaient des griffures et des marques de morsures cicatrisées sur le dos, les oreilles et la queue des porcs à l'engraissement.
Q : Est-ce ce genre d'incident fait partie de vos enquêtes sur le manque de respect de la directive européenne sur les porcs ?
A: Oui , j'ai consacré les 6 derniers mois de mon travail à filmer dans des élevages de porcs pour documenter les violations de la directive de l'UE pour la protection les porcs dans 6 grands pays producteurs : Espagne, Italie, Irlande, République tchèque, Pologne et Chypre .
Q: Comment résumeriez-vous ce que vous avez vu ?
A: Les porcs vivent dans des environnements complètement nus, logés sur du béton sans rien pour satisfaire leurs esprits curieux. Les queues des porcs sont habituellement coupées - une mutilation douloureuse utilisée pour prévenir la caudophagie, qui peut se produire lorsque les porcs sont obligés de vivre dans de telles conditions sans matériaux d’enrichissement. Des traces de morsures de la queue du fait de ces mauvaises conditions. Des porcs vivant dans leurs excréments. Des blessures graves causées par les agressions, et quelques porcs si gravement blessés qu'ils en étaient morts. Des signes de cannibalisme, à nouveau en raison de l’environnement nu et de l’ennui extrême. Des porcs malades ou blessés, parfois laissés pour morts, dans les couloirs. Des porcs morts dans les poubelles, porcs qui avaient clairement vécu dans des conditions horribles. En bref, les violations généralisées de la directive et de multiples cas de cruauté.
Q: Qu'avez-vous vu d'autre ?
A: Dans d'autres élevages j'ai observé une léthargie complète des porcs. Ils étaient recroquevillés dans des coins sombres, effrayés par leurs compagnons d’infortune ou tout simplement essayaient de trouver un espace propre pour échapper à la souillure de leur environnement. Dans un autre élevage que j'ai visité, nous avons vu des porcs moins effrayés par des étrangers. Ils sont rapidement venus à nous pour nous étudier, nous les enquêteurs. Levant les yeux vers nous, j'ai été frappé par les yeux rouges, oui les yeux rouges. Ils étaient si douloureux que je suis surpris qu'ils puissent les ouvrir. Les conjonctivites ont été constatées dans plusieurs élevages et lorsque ce n'était pas cela, c’était une toux constante dû à une pneumonie.
Q: les porcs malades ont été soignés ?
A: J’ai rarement vu un cochon malade recevoir les soins et l'attention nécessaires. Les services vétérinaires étaient souvent absents des hangars et les porcs blessés, malades ou mourants ont juste été retiré de leur enclos pour souffrir en silence dans le couloir de l’élevage, ou plutôt dans l’usine car on ne peut plus parler d’élevage. Un porc incapable de marcher est resté là pendant 3 jours avant qu’on ne vienne le chercher - on m'a dit qu’il servirait à faire de la nourriture pour animaux.
Q: Qu’avez-vous ressenti ?
A: Je me sentais impuissant à moment-là. J'ai trouvé difficile de ne pas imaginer à quoi allait ressembler les prochains jours pour ce cochon. Le travail de reportage vous met souvent en conflit avec votre envie d’agir là et maintenant. Mais agir dans cette situation aurait compromis l'enquête et la nécessité de documenter de nouveaux cas pour montrer que cette souffrance est endémique dans un pays.
Vous pouvez découvrir les résultats de l'enquête Porcs en Espagne ou voir les vidéos des enquêtes sur notre chaîne YouTube.