27/03/2013
Auteur : Philip Lymbery, Directeur de CIWF International
Magnat de Microsoft, Bill Gates est le nouveau grand nom qui entre dans le débat sur « comment nous allons nourrir le monde de demain ? ». Dans son allocution d'ouverture au dernier « Gatesnote », sur L'Avenir de l'Alimentation, M. Gates explique que la consommation de viande devrait doubler d'ici à 2050, mais qu’elle est gourmande en ressources, avec un « impact environnemental conséquent ». Il conclut que, s'agissant de produire de la viande, nous avons « besoin de plus d'options » qui n’épuisent pas les ressources naturelles.
A quoi pense Bill Gates exactement ? Il parle de réinventer le marché de la viande avec des innovations technologiques qui permettent de créer des produits qui ressemblent et ont le goût de la viande et des œufs, mais n’en sont pas. Il cite deux entreprises, Beyond Meat et Hampton Creek Foods, comme étant parmi ceux qui développent des sources de protéines végétales pour un marché de masse. « Je ne pouvais pas faire la différence entre de la vraie viande de poulet et le poulet Beyond Meat », écrit-il, avant d'explorer la science sur laquelle repose ces innovations à venir.
Michael Pollan, auteur du best-seller Le Dilemme de l'omnivore, explique trois bonnes raisons pour lesquelles la réduction de la consommation de viande est une bonne idée : la santé, l'environnement et le bien-être des animaux. Sur ce dernier point, il poursuit en disant, « les élevages industriels qui produisent l’essentiel de notre viande et du lait sont des lieux brutaux où les animaux souffrent inutilement ».
C'est formidable de voir quelqu'un d'aussi influent que Bill Gates s’interroger sur la façon dont nous pouvons élargir nos horizons alimentaires d'une manière qui sert l'avenir. L’an dernier, pour la rédaction d'un livre sur notre système alimentaire mondial, j'ai rencontré d'autres personnes ayant des idées qui méritent d'être écoutées. Par exemple, des chercheurs de l'Université de Wageningen aux Pays-Bas travaillent au développement de moyens de produire de la nourriture et du combustible à grande échelle à partir de simples algues. Les protéines des algues pourraient être utilisées pour nourrir les porcs, la volaille ou le poisson d'élevage actuellement nourris de soja ou de farine de poisson. Ces techniques sont actuellement en cours d’expérimentation. Elles pourraient aussi permettre de produire des ingrédients riches en protéines consommés également par les hommes.
Les algues offrent un énorme potentiel. Une zone assez réduite de l'océan, de quatre fois la taille du Portugal, pourrait produire suffisamment d’algues pour satisfaire les besoins en protéines de 10 milliards de personnes.
Pourtant, l'industrie actuelle de la viande semble être enlisée dans l'ornière de l'élevage industriel, le moyen très certainement le plus inefficace pour produire des aliments. Deux tiers des animaux de ferme dans le monde sont élevés dans des élevages intensifs, des quantités énormes de céréales, de soja et de poisson servent à les nourrir alors qu’elles pourraient être directement consommées par les hommes. Pourtant, la plupart des calories et des protéines sont gaspillées. Par exemple, avec 100 calories de cultures données aux animaux, on ne produit que 30 calories sous forme de viande. D’après mon calcul, les céréales utilisées dans l'alimentation des animaux issus d’exploitation industrielles pourraient nourrir trois milliards de personnes.
C'est pourquoi CIWF appelle à une approche pleine de bon sens pour nourrir le monde. Au lieu de gaspiller les précieux produits de la terre pour les donner aux animaux d’élevage dans des systèmes intensifs, ne serait-il pas préférable que nous les mangeons directement ? Au lieu d’être dans des cages et des hangars surpeuplés, les animaux ne seraient-ils pas mieux au pâturage et sur des terres marginales, qui couvrent une grande partie de la surface de la Terre, ou en quête de nourriture dans les bois ? Dans ce cas, ils mangeraient des aliments que les hommes ne peuvent pas manger ; et pourquoi ne pas nourrir les porcs et la volaille avec nos montagnes de déchets alimentaires que nous entassons actuellement dans des décharges ? Éviter de manger trop de viande et favoriser d'autres sources de protéines – fausse viande ou pas - comme le fait remarquer Michael Pollan, réduirait la pression sur l’environnement et serait aussi bénéfique pour la santé.
Rien de tout cela est nouveau pour CIWF. C'était la vision de Peter Roberts, fondateur de l'organisation et producteur laitier. Dans les années 1960, Peter a exposé sa pensée sur le sujet dans un article essentiel pour comprendre sa philosophie. Dans La Terre peut nous nourrir, Peter dénonçait la vision qui mettait en avant la croissance exponentielle du maïs et de l'élevage industriel pour faire face au problème de l'alimentation dans le monde. Il mettait en avant le développement dans de nombreux pays de nouvelles méthodes pour nourrir les hommes directement à partir des végétaux, et appelait au développement rapide de plus d'aliments à base de plantes pour éviter la famine.
Un demi-siècle plus tard, il est réconfortant de voir des poids lourds des temps modernes rejoindre ces messages alimentaires visionnaires. C'est génial d'entendre le chœur grandissant de voix soutenant la diversification de nos choix alimentaires, en faveur du développement d'une alimentation plus durable; manger mieux et éviter de consommer trop de viande. La tâche qui nous attend consiste à changer l'élevage industriel basé sur le pétrolier avant que celui-ci ne détruise la planète et ne participe encore plus à la faim dans le monde, sans parler des grandes souffrances que subissent les milliards d'animaux élevés dans ces systèmes intensifs.
Ce n'est pas une mince tâche, mais je sais que dans le monde entier les partisans de CIWF sont avec nous. Nous pouvons tous y participer, notamment par le biais de nos choix alimentaires. Heureusement, nous avons la chance de pouvoir faire la différence, trois fois par jour.