CIWF a visité un élevage de vaches laitières qui donne le sourire. L'échange avec l'éleveur, Gérard, est très inspirant. Merci à lui de nous avoir ouvert ses portes...
Je cherche constamment à diminuer l’impact que j’ai sur mon environnement, à améliorer le bien-être de l’animal et le bien-être de l’éleveur en réduisant la pénibilité au travail. Les 3 sont indispensables si on veut avoir un système qui tienne dans le temps et qui soit viable pour tous.
Gérard Grandin
Un système exclusivement herbager
En seulement 3 ans après son installation, Gérard a réussi à mettre en place un système exclusivement herbager.
Ses vaches laitières sont nourries uniquement à partir d’herbe dont 10 à 11 mois de l’année en pâturage tournant, ce qui permet d’offrir aux animaux une parcelle d’herbe fraîche à pâturer tous les jours.
Certains animaux sont en pâture toute l’année : ses taureaux reproducteurs, ses génisses et ses veaux (hors 15 jours en bâtiment pour l’adoption avec leur nourrice et logés à plusieurs).
Les vaches laitières sont seulement rentrées de mi-décembre à fin janvier/début février, soit moins de deux mois.
Le système très herbagé fonctionne par les économies de charges qu’il permet. Quand les animaux sont à la pâture on n’a pas besoin d’acheter d’aliments, ni besoin de matériel […] Ce système m’a permis de réduire le temps de travail global.
Une meilleure longévité
Là où dans des exploitations laitières intensives les vaches font 2,5 à 3 lactations en moyenne (Réussir Lait, 2023) les vaches plus rustiques de Gérard font en moyenne 4,5 à 5 lactations dans leur carrière.
Avoir des vaches présentes plus longtemps sur l’exploitation, c’est un signe de bien-être et c’est aussi économiquement plus intéressant.
En effet, élever une génisse représente un investissement qui est amorti par les litres de lait qu’elle produit. Ainsi, travailler sur la longévité des vaches est donc un levier pour améliorer la rentabilité du système laitier. De plus, il est remarqué qu'une multipare (plusieurs mises-bas) produit davantage de lait qu'une primipare, il est donc intéressant d’avoir un taux de renouvellement plus faible et éviter des réformes inutiles.
Une diversité génétique
Pour les génisses de renouvellement, Gérard effectue un croisement Prim’Holstein x Jersiaises dans le but de ne plus avoir de vache Prim Holstein « pures », dont la génétique est issue du modèle de troupeau laitier de ses parents.
L’éleveur souhaitait avoir des vaches plus petites (apport de la jersiaise) afin de faciliter les vêlages mais aussi qu’elles soient plus rustiques, donc mieux adaptées au système herbager.
De plus, la jersiaise apporte une plus grande richesse au lait, qui est ainsi valorisé à la laiterie par une prime.
Pour valoriser les génisses d’engraissement et les veaux de lait, les vaches Prim’Holstein/Jersiaises sont croisées avec un taureau Angus afin d’avoir de meilleures aptitudes bouchères.
Ce système permet à l’éleveur de valoriser les veaux issus de ce croissement en les engraissant directement sur sa ferme plutôt que de les exporter de la ferme comme dans la majorité des élevages laitiers.
L’élevage des veaux sous nourrice
La séparation des veaux laitiers de leur mère dès leur naissance est une pratique commune dans la filière laitière. Ces veaux sont ensuite mis en case individuelle ou collective pour être nourris avec du lait issu du tank, non commercialisable ou en poudre. Cette gestion des veaux et cet allaitement artificiel sont de plus en plus remis en cause par la société et pose un dilemme notamment pour les agriculteurs engagés sous filière biologique car le cahier des charges demande une distribution de lait biologique, préférentiellement maternel, pendant 3 mois (Règlement CE n°834/2007).
C’est dans ce contexte que des éleveurs laitiers bio tel que Gérard Grandin s’essaient à des pratiques alternatives d’allaitement. Inspirés du modèle Néo-Zélandais, ils laissent les veaux alors avoir accès au pis de leur mère biologique de quelques heures à plusieurs mois ou les font adopter par une vache dite nourrice qui aura, quant à elle, adopté plusieurs veaux et se chargera uniquement de les nourrir.
Après leur naissance, tous les veaux restent au minimum une semaine avec leur mère et Gérard s’assure qu’ils aient bien bu le colostrum. La prise colostrale est importante et doit s’effectuer dans les 6 heures qui suivent la naissance du veau afin qu’elle apporte au veau une quantité suffisante d’énergie, de vitamines, une flore lactique et des anticorps nécessaires à son immunité.
L’élevage des veaux sous nourrices permet également une facilitation de la transition de l’alimentation liquide à solide. Les veaux intègrent progressivement des aliments solides (herbe, foin…) dans leur ration grâce au pâturage avec les vaches nourrices et par effet de mimétisme.
De plus, une étude menée à l’INRAe de Mirecour dans les Vosges (88) montre que les croissances sous nourrices sont plus régulières, et surtout supérieures à celles observées avec des veaux nourris au DAL (distributeur automatique de lait). Cela pourrait s’expliquer par une absence de stress au sevrage (Peucelle, 2023).
Une vache nourrice, selon son potentiel laitier, peut allaiter 4 veaux en même temps dans l’élevage de Gérard Grandin.
Les animaux qui sont concernés par l’élevage sous nourrice sont toutes les génisses de renouvellement (10 par an), les génisses élevées pour leur viande (12 croisées Angus), ainsi que les veaux de lait.
Pas d’ébourgeonnage
Gérard ne pratique pas l’ébourgeonnage : les cornes des animaux sont préservées, ce qui évite une mutilation douloureuse aux veaux. Les cornes des animaux sont néanmoins limées aux extrémités pour minimiser les blessures aux congénères, notamment au moment du vêlage.
Gérard cherche à avoir des taureaux qui portent le gène sans corne et qu’ils le transmettent à leur progéniture « ce qui simplifierait les relations entre les animaux, et les relations à l’humain et ce qui évitera le traumatisme de l’écornage ».
Un élevage impliqué dans la préservation de l’environnement
L’élevage de Gérard s’intègre dans un agro-écosystème d’intérêt : ZNIEFF (Zone Naturelle d’intérêt Faunistique et Floristique) et PNR (Parc Naturel Régional) - Géoparc Normandie-Maine.
Au début de son installation, Gérard a participé à un groupe du PNR qui travaillait sur la baisse de consommation d’énergie et des émissions de GES. Il a pu valider les différents critères car il a effectué un véritable changement de système sur son exploitation.
- En effet, sur les 6 ans durant lesquels le programme a été effectué, Gérard a réduit de 75% la consommation d’énergie, et de 23% de ses émissions de GES (gaz à effet de serre) grâce à ses changements de stratégie d’élevage :
En réduisant son cheptel avec l’abandon de son atelier d’engraissement de taurillons au profit des veaux de lait qu’il vend à 4 mois (6 à 7 veaux par an). - En diminuant de manière drastique les intrants
▪ Arrêt de l’achat d’engrais azotés,
▪ Autonomie alimentaire : passage d’un système basé sur le stock à un système pâturant, arrêt de l’achat d’aliments et réduction de l’utilisation de carburant - En stockant du carbone en développant le linéaire de haies : plantation prise en charge à 80%, il plante 1 km d’essences locales par hiver.
- En arrêtant la culture de céréales et donc le labour ce qui a un impact positif sur la biodiversité des sols (Projet SEBIOREF, 2017).
Un modèle économique qui fonctionne
Le système très herbagé fonctionne par les économies de charges qu’il permet.
Le modèle de Gérard fonctionne avec peu d’intrants :
- Autonomie alimentaire de la ferme : pas d’achats de concentrés ou de compléments, vaches de petite taille nécessitant moins d’aliment
- Peu de frais de santé : 15€/UGB, soit environ 1000 - 1500€ par an
- Pas d’insémination artificielle : Pas d’achat de paillettes
Arrêt de la production de céréales : Economie sur les semences et produits phytosanitaires
- Economie d’énergie : Diminution des charges d’électricité liés au logement des animaux, de de fuel par l’arrêt de l’utilisation d’engins agricole nécessaire à la production de céréales
La principale charge qui persiste est l’achat de la paille (1500€ /an) qui est non produite par l’exploitation qui ne cultive plus de céréales.
Une réduction du temps de travail
Sur une année, Gérard travaille l’équivalent de 35h par semaine. La variation du temps de travail selon la période de l’année est importante : d’une heure par jour lors de la période de tarissement des vaches (astreinte pour faire le tour quotidien des animaux), à 12h par jour pendant les deux semaines de récolte de foin. En effet, Gérard parvient à se dégager du temps supplémentaire en pratiquant le système des vêlages groupés au printemps, ce qui permet de tarir tous les animaux entre le 15 et le 20 décembre et donc d’avoir deux mois sans traite. Cela permet de réduire le temps d’astreinte à une heure par jour dans cette période-là.
Le groupement des vêlages au printemps permet donc une vraie « pause » hivernale de deux mois, tandis que le système de pâturage et de monte naturelle réduit le temps de travail de l’éleveur au quotidien.