Paris, le 28 janvier 2022. Selon les spécialistes, nous faisons face à une véritable crise d’antibiorésistance qui met en danger la santé humaine. Alors que la nouvelle réglementation sur les médicaments vétérinaires entre en vigueur aujourd’hui, un rapport publié ce jour par l’EPHA (European Public Health Alliance) démontre que le niveau d’usage d’antibiotiques en élevage en France est encore trop élevé. Il faut faire évoluer les standards de bien-être animal pour atteindre des niveaux d’usages raisonnables. Aujourd’hui, la France est loin de pouvoir se conformer à la nouvelle réglementation. CIWF publie 10 mesures prioritaires à mettre en place pour en garantir l’application et réduire l’usage d’antibiotiques en élevage en France.
Une crise majeure de santé publique
Les dangers de la surutilisation continue des antibiotiques sont bien réels. L’antibiorésistance est un problème mondial grave de santé publique, et pourrait devenir l’une des principales causes de mortalité dans le monde [1]. Un article publié récemment dans The Lancet[2] révèle qu’en 2019, plus d’1,2 million de personnes sont décédées d’infections causées par des bactéries antibiorésistantes, soit plus que le paludisme ou le SIDA. L'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) a déclaré que : "La résistance aux antibiotiques atteint des niveaux dangereusement élevés dans toutes les régions du monde... Sans une action urgente, nous nous dirigeons vers une ère post-antibiotique, dans laquelle les infections courantes et les blessures mineures peuvent à nouveau tuer."
Or, les antibiotiques utilisés en élevage jouent un rôle dans l’antibiorésistance : ils représentent 2/3 des antibiotiques utilisés dans le monde. L’OMS recommande fortement une réduction de l’utilisation des antibiotiques importants pour la médecine humaine chez les animaux de rente.[3]
Si nous ne réduisons pas leur utilisation, nous augmentons la probabilité d'un avenir dans lequel les procédures médicales telles que les prothèses de hanche, la chimiothérapie anticancéreuse, les transplantations d'organes et le traitement des bébés prématurés, deviendront beaucoup plus dangereuses.
Une nouvelle réglementation européenne... Mais le secteur de l’élevage n’est pas prêt !
En réponse à cette menace, deux nouveaux Règlements Européens[4] entrent en vigueur aujourd’hui. S’ils étaient correctement appliqués, ils pourraient permettre de réduire fortement la consommation d’antibiotiques en élevage en Europe et contribuer à diminuer la part de l’élevage dans la crise de l’antibiorésistance.
En effet, ils prévoient l’interdiction de l’usage des antibiotiques en préventif, la limitation de l’usage sur un groupe d’animaux, l’interdiction de tout usage d’antibiotiques en routine, mais également de tout usage d’antibiotiques « pour compenser de mauvaises conditions d’hygiène, des conditions d’élevage inappropriées ou un manque de soins, ou pour compenser une mauvaise gestion de l’exploitation. » (Article 107.1).
CIWF salue cette réglementation ambitieuse à laquelle elle a contribué, mais les inquiétudes sont réelles sur sa mise en œuvre. En effet, réussir à mettre en place ces réglementations va nécessiter d’importants changements de conditions d’élevage, selon le rapport publié aujourd’hui par l’EPHA (European Public Health Alliance) dont CIWF France publie le résumé en français.
Pour son auteur, Cóilín Nunan, les systèmes d’élevage les plus intensifs sont dépendants d’une utilisation excessive d’antibiotiques. Or, jusqu’à présent, les Etats membres de l’UE ne font rien pour s’éloigner de l’élevage intensif. Le secteur de l'élevage n'est pas prêt à appliquer cette réglementation sur les antibiotiques, pourtant indispensable. Il précise :
« Les pratiques actuelles telles que le sevrage très précoce des porcelets ou l'utilisation de poulets à croissance extrêmement rapide entraînent une mauvaise santé, davantage de stress et une utilisation beaucoup plus élevée d'antibiotiques. L'Europe a besoin de systèmes agricoles durables qui protègent la santé animale et produisent des aliments plus sains, sans dépendre d’un usage systématique d'antibiotiques. »
Par exemple, le sevrage très précoce des porcelets entraînent souvent des diarrhées chez l’animal, traitées par une utilisation importante d'antimicrobiens. Renoncer au sevrage précoce permettrait aux éleveurs de cesser cette pratique et de réduire les niveaux d'utilisation des antimicrobiens, et ainsi de répondre aux nouvelles normes européennes.
La France atteint un palier dans la réduction des antibiotiques en élevage
En France, les espèces les plus consommatrices d’antibiotiques sont encore majoritairement élevées dans des systèmes intensifs (95% des porcs, 94% des veaux de boucherie, 98% des lapins, 75% des poulets de chair). Dans ces systèmes, la fréquence des infections est augmentée par la forte densité d’animaux en bâtiment (22 animaux par m² en poulet de chair), une sélection génétique favorisant des animaux sur-productifs mais peu résistants aux maladies et des mutilations (comme la coupe de queue qui concerne 99% des porcelets) qui fragilisent les animaux.
Et les conséquences peuvent se voir sur l’usage d’antibiotiques en élevage : en France, leur usage est encore très majoritairement utilisé en tant que traitement de groupe (76%). Et cet usage est encore bien trop élevé : la France est classée 17ème sur 31 pays européens en termes d’utilisation d’antibiotiques vétérinaires. En novembre dernier l’ANSES publiait les derniers chiffres et pour CIWF, le constat est clair : la France peine à réduire une utilisation excessive et encore trop systématique en élevage.
Pour Léopoldine Charbonneaux, directrice de CIWF France :
Nous dénonçons les conditions d’élevage intensif pour les animaux mais la santé humaine est aussi mise en danger par ces systèmes de production. Dans ces systèmes d’élevage, les antibiotiques sont d’indispensables béquilles pour compenser les conditions d’élevage inappropriées. Les gouvernements doivent agir maintenant pour garantir la santé des animaux mais aussi des êtres humains. Pour nous conformer à cette nouvelle législation, nous devons adopter des "systèmes d'élevage axés sur la santé", c’est-à-dire des systèmes dans lesquels les animaux ne subissent pas de surpopulation (acteur de risque pour la propagation et le développement des maladies infectieuses) et dans lesquels les animaux peuvent adopter des comportements naturels, réduisant ainsi le stress (autre facteur de risque). La préservation de la santé publique repose sur la préservation de la santé animale, les deux sont intrinsèquement liées et cette législation est essentielle pour protéger les deux.
CIWF publie 10 mesures prioritaires à mettre en place en France
Pour CIWF, la France n’est pas en mesure de respecter la nouvelle réglementation européenne sur l’usage d’antibiotiques. CIWF propose 10 mesures prioritaires à mettre en place par les pouvoirs publics pour réduire fortement l’utilisation des antibiotiques en France et donne rendez-vous le 22 février pour un webinaire réunissant scientifiques, professionnels et pouvoirs publics autour de ces enjeux.