La France est dans la dernière ligne droite pour la validation de son Plan Stratégique National de la Politique Agricole Commune (PAC). Les arbitrages du ministre de l’Agriculture sont inquiétants : non seulement le Plan porté par la France ne prévoit aucune mesure pour soutenir les pratiques d’élevage vertueuses pour le bien-être animal, mais pire encore, il ne permet pas d’exclure l’élevage intensif des montants attribués. Voici comment le PSN français permettra de subventionner l’élevage intensif…
Des aides de base qui ne sont pas conditionnées à des critères de bien-être animal
A ce jour, la proposition portée par la France ne prévoit aucun critère conditionnant le soutien financier à des améliorations en matière de bien-être animal : les aides de base du premier pilier de la PAC seront donc attribuées, quel que soit le système de production. Pour rappel, la France concentre 80% d’élevage intensif, principalement en volaille, porc, veau et lapin.
Les aides couplées (qui sont attribuées à la production) vont, elles, évoluer avec une attribution à l’UGB (Unité de Gros Bétail), une évolution pour permettre de tenir compte de l’ensemble du troupeau (et éviter les « moules à veaux »), cependant, le critère du taux de chargement (une limite de densité) ne sera pas applicable aux 40 premiers UGB primés, et aucun critère de pâturage ne sera appliqué. Ainsi, les troupeaux laitiers en zéro-pâturage ainsi que les centres d’engraissement des jeunes bovins (ex. fermes des 1000 taurillons) pourront bénéficier de ces aides !
Un Eco-régime qui permettra de financer l’élevage intensif via la certification HVE
Le nouveau dispositif de l’Eco-régime, la nouveauté de cette PAC, tel que soutenu par le ministre de l’Agriculture dans le Plan stratégique national, prévoit également une rémunération de la certification environnementale de niveau 2 + pour son 1er niveau, ainsi que du label HVE pour son 2ème niveau.
Cette certification est non seulement très faible au niveau environnemental, mais elle ne prévoit aucun critère sur les conditions d’élevage des animaux. La faiblesse de la démarche permet au ministère de l’agriculture de faciliter les équivalences avec des démarches privées.
Ainsi, il est très facile pour une partie importante de l’élevage intensif français d’en bénéficier, sans rien changer aux pratiques d’élevage. Et les filières ne s’y sont pas trompées : elles ont misé leurs stratégies de développement sur le déploiement de cette certification, sésame pour bénéficier de l’accès privilégié aux subventions et aux marchés publics (via l’obligation issue de la loi Egalim, pour les cantines scolaires entre autres, de proposer 50% de produits dits durables dans leurs menus.)
Un label de pacotille, inadapté à l’élevage, pour protéger la production française conventionnelle
C’est ainsi que la filière Volaille française a demandé, et obtenu, par un arrêté du 25 janvier 2021, que sa charte « Volaille de chair » [1] reçoive la certification environnementale de niveau 2 par le Ministère de l’agriculture.
Or cette charte, qui sert de “socle minimum” selon les termes de la filière elle-même, couvre aujourd’hui l’ensemble de l’élevage dit « conventionnel » français de volaille de chair. Ainsi, elle ne comporte aucun critère concernant la provenance des aliments alors que la filière volaille joue un rôle majeur dans l’importation de soja issu de la déforestation, ni aucun critère permettant de garantir un niveau d’exigence en matière de bien-être animal supérieur à la réglementation minimale.
Pire encore, selon un rapport de la Commission européenne[2], la filière poulet de chair française concentre plus de la moitié (55 %) des poulets de chair européens élevés avec la densité maximale autorisée par dérogation au seuil réglementaire, soit 42 kg par m², alors que d’autres États-membres ont choisi de ne conserver que le seuil minimal lors de la transposition de la directive dans leur législation nationale.
Autrement dit, la production française standard de poulet de chair est la plus intensive d’Europe, et elle vient d’obtenir une certification de pacotille dénuée de tout critère contraignant sur l’élevage, qui lui permettra d’obtenir des subventions de la PAC à partir de 2023.
C’est ainsi que, grâce aux arbitrages du ministre de l’Agriculture français en faveur du financement par l’Eco-régime du label HVE et de la certification environnementale de niveau 2, le PSN français permettra de subventionner l’élevage intensif.
Alors même que l’Eco-régime devrait être mis en place pour soutenir les meilleures pratiques en termes de climat, de biodiversité et de bien-être animal, il s’agit d’un détournement de ce dispositif, sans aucune visée de transition agroécologique des systèmes d’élevage intensifs.
Ces productions intensives nuisent pourtant gravement, de par leurs mauvaises pratiques, à l’image des filières plus vertueuses et pourtant les plus en difficulté. Elles peinent à faire face à la concurrence économique des élevages standards.
Alors que la transition de l’élevage des filières les plus intensives vers des pratiques plus vertueuses, en matière environnementale et de bien-être animal, a été identifiée comme un enjeu majeur pour la future Politique Agricole Commune, la France fait le choix de soutenir ses productions standards, sans aucune exigence de transition ou d’évolution. Ce faisant, elle détourne le dispositif de l’Eco-régime, pilier de la nouvelle architecture environnementale de la prochaine PAC.
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Notes
[1] La charte interprofessionnelle « Volaille de chair » ou EVA a été conçue comme un socle minimum d’exigences dans les élevages avicoles standards français. D’après la filière, « Elle a notamment pour objectif de s’assurer de la conformité de l’application et du suivi des normes françaises et européennes. » C’est une initiative nationale de l’interprofession de la dinde (Cidef), des comités interprofessionnels du poulet de chair (CIPC) et du canard (Cicar). Plus d’infos : ici !